Par Liette Robin, coordonnatrice de projet chez Audition Québec
Selon La vitrine linguistique, le terme « déni » est employé par Freud dans un sens spécifique : mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d’une perception traumatisante. Toutefois, selon Dre Rachel Filion, dans la situation présente, le déni est plus lié aux étapes normales du processus de deuil : choc, déni, colère/marchandage, dépression/tristesse, acceptation. Évidemment, s’il s’agit d’une surdité subite, il peut y avoir traumatisme.
Votre proche vous fait répéter souvent, monter le volume de la télévision à un niveau trop élevé, il parle fort, il a des difficultés à suivre une conversation, il semble ne pas comprendre les informations que vous lui dites… Vous lui faites part de vos soupçons : vous pensez qu’il peut avoir une perte auditive.
Oups! C’est comme si vous avez pesé sur la mauvaise touche! La personne vous sort toutes les raisons pour lesquelles elle est convaincue que ce n’est pas le cas. Maintenant sur la défensive, il sera difficile d’aborder le sujet à nouveau! Que pouvez-vous faire?
Observations des proches
Avant de répondre à cette question, résumons les observations faites par les proches de quelques personnes vivant dans le déni face à leur perte auditive. Nous avons discuté avec les proches de deux personnes de plus de 65 ans et deux « jeunes » entre 25 – 30 ans.
- La raison #1 est : leur perte auditive n’est pas vraiment importante, ça ne leur cause pas trop de « problèmes ». Dès lors, ils ne prennent pas le temps nécessaire pour consulter un médecin (pour la demande de référence) et un audiologiste.
- Ils minimisent les conséquences de ne pas être appareillés.
- Certains pensent que leur entourage est « responsable » du problème. Exemple : Les gens ne parlent pas assez fort, sont intolérants envers le volume de la musique, la TV ou aux bruits environnants.
- Ils acceptent difficilement le handicap. Dans le cas des jeunes, ils ne veulent pas être associés à un handicap de « vieux ».
- Les gens craignent la discrimination s’ils sont vus comme différents. Par exemple, ils peuvent refuser de le dévoiler au travail, alors qu’au contraire, ça pourrait leur être salutaire. Voir l’article Favoriser son inclusion au travail comme personne malendendante
- Lorsqu’il y a d’autres problèmes de santé, ils ne priorisent pas leur perte auditive. Ils vont consulter pour les maladies « physiques (ex. cholestérol et autres). Ça amplifie l’anxiété souvent présente face aux problèmes de santé.
- Le processus d’appareillage peut paraître laborieux et compliqué.
- Les plus jeunes ont tendance à compenser avec l’utilisation des technologies (texto plutôt qu’un appel, visioconférence, etc).
Comment pouvons-nous aider un proche qui est dans le déni?
Pour nous aider à répondre à cette question, nous avons rencontré Rachel Filion, psychologue. Tout d’abord, quels sont les signes du déni?
La personne :
- Est découragée face à sa situation. Certaines personnes dans le déni alternent entre des moments de surcompensation (vouloir tout comprendre, éviter d’utiliser des aides auditives) et des phases de repli où elles se sentent épuisées ou dévalorisées, ce qui est un mouvement typique du cycle du déni et du découragement.
- A de la difficulté à accepter le port d’appareils.
- A de la difficulté à faire face à l’ampleur des impacts du handicap dans sa vie et aux efforts à faire.
- Elle peut attribuer ses difficultés d’audition à son entourage : il parle mal, il marmonne, parle pas assez fort, il a un accent… « c’est pour ça que je comprends pas, je suis pas sourd! »
- Peut abandonner des activités et s’isoler à cause des limitations imposées par sa perte auditive.
Afin d’aider une personne dans le déni, tout en préservant la relation avec celle-ci, et avoir une chance de succès, ces quelques suggestions peuvent vous être utiles.
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- Sensibiliser la personne à sa condition et la laisser constater sa situation par elle-même. (pour ce faire, lui donner des informations graduelles, ne pas la submerger).
- Lui poser des questions pour l’amener à faire des prises de conscience.
- Par ex. As-tu remarqué que…tu mets la tv plus forte, tu fais plus répéter, etc?
- Qu’est-ce que tu en penses? Qu’est-ce que tu penses faire?
- As-tu changé/ abandonné des activités? Pourquoi tu ne vas/ fais plus …?
- L’aider à prendre du recul afin de voir ses difficultés. Vous pouvez lui proposer les 2 tests indiqués à la fin de cet article. Voir 1. 2.
- Ne pas agir afin de compenser les difficultés de la personne. Donc, ne pas modifier vos habitudes afin d’accommoder la personne. Ex. Je te parle sur un ton/volume normal. Je n’augmenterai pas le volume.
- Offrir de l’accompagner aux rendez-vous. Il sera toujours plus facile d’en discuter après.
- Le proche peut faire des recherches d’informations, par contre, la personne malentendante n’y sera peut-être pas réceptive si elle n’en fait pas la demande.
- D’autres stratégies plus subtiles
- Parler d’autres personnes sourdes/malentendantes dans son entourage. Parfois les gens peuvent s’intéresser au cheminement des autres et les écouter peut les faire cheminer vers la réalisation qu’ils ont une surdité.
- Laisser traîner des revues qui abordent de la surdité d’une personnalité connue.
Les attitudes à recommander pour les personnes de l’entourage :
- Écouter
- Questionner
- Ne pas juger
- Refléter et valider les émotions de la personne. Ex. Valider que c’est insécurisant, etc.
En conclusion…
Dans plusieurs cas, la perte auditive s’installe lentement. Insidieusement. Les gens s’habituent à vivre avec ce handicap invisible. Ils ne réalisent pas toujours ce qu’ils n’entendent plus : le chant des oiseaux, le clignotant de la voiture, le lave-vaisselle, etc. Si l’entourage fait la remarque : ah les oiseaux chantent aujourd’hui! La personne malentendante peut réaliser à ce moment-là qu’elle ne les entend plus.
Dès lors, selon l’étape du deuil (choc, déni, colère/marchandage, dépression/tristesse, acceptation) que vit la personne, elle peut être dans le déni.
De plus, comme c’est insécurisant d’affronter un nouveau problème de santé, le déni peut apporter un certain « confort ». Il devient une stratégie de défense pour éviter la tristesse, la honte ou la peur associées à la surdité
Si vous êtes proche d’une personne malentendante qui est dans le déni, vous pouvez être une des principales « victimes » de cette situation. Vous faire reprocher de ne pas parler assez fort, de marmonner, d’exagérer ou imaginer des bruits, de devoir répéter et reformuler, ce n’est rien de reposant.
Le mot de la fin? Il est important de vous rappeler qu’il est difficile, voire impossible, d’aider une personne qui ne veut pas s’aider. Vous ne pouvez que faire de votre mieux! Toutefois, vous informer, consulter des ressources, aller chercher du soutien, peut vous aider à traverser cette étape plus facilement, voire avec sérénité.
FAITES LE TEST!
Nous remercions la psychologue Rachel Filion pour sa collaboration à cet article.

Dre Filion est elle-même sourde. Elle porte un implant cochléaire et a travaillé dans plusieurs milieux reliés à la surdité. Elle pratique en clinique privée auprès d’une clientèle entendante, malentendante et Sourde, et ce, en français oral, en LSQ et en ASL.
Elle offre également des formations et des ateliers auprès de différents organismes desservant la communauté sourde sur des sujets touchant la psychologie et la surdité.















