Parlons du dépistage de surdité néonatal

Luc Poirier, animateur, Dr Mélanie Duval, ORL, Nadine Tougas, audiologiste, Claire Moussel, directrice générale de l’AQEPA, Rosalie Taillefer-Simard, animatrice

Animé par l’artiste bien connue Rosalie Taillefer-Simard, le premier panel de la Journée nationale de l’audition 2023 se penchait sur le dépistage néonatal. Mis en place il y a maintenant dix ans, le Programme québécois de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés (PQDSN) n’est malheureusement pas assez connu et n’est pas encore disponible dans tous les hôpitaux du Québec. Le panel visait à faire le point sur ce qui existe et ce qu’il reste à faire pour assurer un dépistage pour tous les nouveau-nés de la province et ainsi permettre une prise en charge rapide des familles en cas de détection d’une surdité.

Les panélistes étaient Claire Moussel, directrice générale de l’Association du Québec pour enfants avec problèmes auditifs (AQEPA), Nadine Tougas, M.P.A, audiologiste travaillant principalement au CHU de Québec et Dre Mélanie Duval, ORL pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants (CUSM).

L’IMPORTANCE DE DÉPISTER LA SURDITÉ À LA NAISSANCE

L’animatrice, implantée cochléaire et étant elle-même enceinte de quelques mois, se sentait vivement interpellée par ce sujet :

Je pense que ce qui est important, c’est de savoir le plus tôt possible à la naissance s’il y a une surdité. Parce que comme ça je vais pouvoir me dire ok, je vais le regarder face à face mon bébé pour qu’il comprenne le plus possible mes expressions, qu’il me voit. (…) Alors c’est pour ça que c’est important, parce que j’aimerais ça lui fournir les outils nécessaires pour que son développement et son apprentissage se passent le mieux possible. – Rosalie Taillefer-Simard

EN QUOI ÇA CONSISTE?

Lorsqu’il est déployé dans un centre de naissance, il permet d’offrir à toutes les familles l’accès au dépistage. C’est offert et c’est aux parents de consentir ou non à bénéficier du dépistage de leur enfant. Une fois le consentement reçu, le dépisteur peut s’avancer et faire l’examen de l’enfant. C’est un examen qui dure quelques minutes et on veut absolument un bébé endormi pour réussir un meilleur dépistage possible. C’est dans la douceur et c’est non invasif comme examen. On a les réponses rapidement et le dépisteur peut dire aux parents s’il a réussi ou non son dépistage déjà à la chambre de l’enfant. – Nadine Tougas

Pour ce test qui dure quelques secondes, une très petite sonde est insérée dans l’oreille du nouveau-né (il faut attendre plusieurs heures après la naissance pour que le conduit auditif soit libre de tout débris. Un son très faible est envoyé et va voyager jusqu’à la cochlée. Celle-ci renvoie un écho mesuré par la sonde. Ce test rapide permet d’éliminer plusieurs problématiques.

Un deuxième test, un peu plus complexe mais également rapide et non invasif, peut également être mené à l’aide d’électrodes placées sur la tête du bébé.

QUE SE PASSE-T-IL EN CAS D’ÉCHEC DU DÉPISTAGE?

Si l’enfant n’a pas réussi, toutefois, il y aura une suite vers le département d’audiologie pour la reprise et la confirmation de la surdité et du type de surdité de cet enfant-là. – Nadine Tougas

C’est d’ailleurs souvent à ce moment que la collaboration entre les audiologistes et les ORL devient importante.

En général, on ne va pas être impliqués dès la première étape de dépistage. Donc une fois que le bébé va échouer le dépistage, il va en général la répétition du même dépistage pour voir est-ce que c’est vraiment un échec ou non. Puis il y a d’autres tests, plus poussés aussi par la suite, qui sont faits par les audiologistes pour essayer de comprendre la sévérité de la surdité, le type de surdité. Puis en général, c’est à la suite de ces tests que les ORL vont être interpellés pour aider à comprendre pourquoi l’enfant a une perte d’audition. Ça va impliquer un examen ORL où on regarde justement les tympans, les oreilles pour voir est-ce que tout semble normal? Est-ce qu’il y a du liquide dans les oreilles, puis dépendamment du type de surdité, parfois d’autres tests aussi sont nécessaires pour mieux comprendre la raison pour laquelle l’enfant n’entend pas bien, ou a une surdité. – Dre Mélanie Duval

EST-CE QU’UN ÉCHEC DU DÉPISTAGE SIGNIFIE QUE LA SURDITÉ EST PERMANENTE?

Je dirais que la vaste majorité des enfants qui échouent le test de dépistage néonatal vont s’avérer ne pas avoir de perte auditive, à la suite des tests de confirmation. Beaucoup d’autres enfants vont avoir du liquide derrière le tympan, ce qui cause une perte d’audition qui est en général réversible. Si ça ne se règle pas avec le temps, on peut mettre des tubes dans les oreilles, enlever le liquide, puis retester à ce moment-là, pour voir si vraiment c’est la cause de la perte d’audition. – Dre Mélanie Duval

SI UNE SURDITÉ EST DÉPISTÉE, QUELLE EST LA SUITE DES CHOSES?

Une fois que l’enfant est diagnostiqué avec une perte auditive, il est par la suite pris en charge généralement par le centre de réadaptation régional, dépendamment de l’endroit où la famille habite. Et ce centre de réadaptation fait vraiment un bon travail d’accompagner les familles dans le processus. Ce sont eux qui offrent les services d’audiologie mais aussi d’orthophonie, de travailleuse sociale, il y a des psychologues, donc il y a beaucoup de ressources qui sont disponibles à l’intérieur de ces centres de réadaptation pour aider les familles à cheminer un peu à travers le processus.

Dre Mélanie Duval

C’est également à ce moment-là que l’Association du Québec pour enfants avec problèmes auditifs (AQEPA) est bien placée pour intervenir :

Dès l’annonce du diagnostic, nous on peut être là justement pour accompagner les parents, les informer, les soutenir, les aider à passer au travers de tout un tas d’émotions qu’ils vont ressentir après l’annonce du diagnostic. Parce que dans la grande majorité des cas, il n’y a pas de facteurs de risque, il n’y a pas de surdité dans la famille. À peu près 90 % des parents d’enfants sourds et malentendants sont entendants eux-mêmes. Donc ça va être un nouveau monde qu’ils vont découvrir, avec tout un jargon technique qui leur est inconnu. Donc nous, on va pouvoir éventuellement les aider justement à découvrir tout ça, à apprivoiser tout ça. – Claire Moussel

Mes parents, quand ils ont su que mon frère et moi on était sourds, c’est sûr que ça a été tout un choc, ils ne savaient pas quoi faire. Puis justement ils sont allés à l’AQEPA. Ça les a tellement aidés, parce que c’est là qu’ils ont rencontré d’autres parents qui vivaient la même chose qu’eux, puis c’est là qu’ils se sont dit Oh mon Dieu, ok, mais regarde, on peut s’en sortir!

Rosalie Taillefer-Simard

POURQUOI IL Y A TANT DE RETARD DANS LE DÉPLOIEMENT DU PQDSN?

La principale raison mentionnée pour le retard dans le déploiement du PQDSN est la pénurie d’infirmières. La formation requise pour administrer les tests est d’une semaine, et ça pose un problème dans plusieurs établissements hospitaliers.

Audrey Hardy, coordonnatrice clinique professionnelle de la Division d’audiologie à l’Hôpital de Montréal pour enfants, est intervenue pour commenter la situation à la fin du panel :

Je veux ajouter un petit regard optimiste par rapport au déploiement du PQDSN. C’est certain que ça fait longtemps qu’on en entend parler, mais pour être impliquée en discutant avec le ministère de la Santé et des Services sociaux, je dirais que le déploiement s’en vient. Ça semble très simple de faire le dépistage, oui, ça ne prend que quelques minutes, mais tout ce qu’il y a derrière est énorme. – Audrey Hardy

Outre l’enjeu de la pénurie d’infirmières, Madame Hardy souligne le fait que le programme requiert une plateforme informatique importante :

C’est une grosse plateforme avec un système d’information qui nous permet de suivre des enfants dès le début, ensuite, qui va appeler pour le deuxième test, où est-ce que ce bébé-là s’en va pour un diagnostic? Tout ça là, c’est immense, donc il ne faut pas se dire ah mais pourquoi on ne le fait pas? – Audrey Hardy

Madame Hardy est optimiste pour la suite des choses :

On sent vraiment une rigueur là-dessus. Les hôpitaux sont prêts, ils le manifestent, mais ça ne se fait pas d’un claquement de doigt. Puis les pédiatres, clairement, sont de plus en plus prêts. Moi aussi je vois le nombre de demandes qui entrent au Children et je sais dans plusieurs autres hôpitaux qui nous sont redirigés après. Encore là, ce n’est pas tous les bébés, mais il y a vraiment une conscientisation. Les gens sont plus sensibilisés, ils sont clairement prêts pour le déploiement. – Audrey Hardy

QUE FAIRE LORSQUE LE PQDSN N’EST PAS OFFERT SUR LE LIEU DE NAISSANCE?

Il y a des programmes de dépistage de la surdité qui sont quand même déployés un peu partout sur le territoire, mais avec les ressources humaines et les ressources techniques qui sont différentes et peut-être pas harmonisées dans différents hôpitaux et certains hôpitaux n’en ont pas non plus. Il faut noter que les enfants qui naissent avec certains risques additionnels de surdité, donc soit de la surdité dans la famille, soit qu’ils sont nés avec une particularité médicale par exemple, sont déjà référés vers les services d’audiologie normalement de leur de leur région. Malheureusement, on le sait qu’une grande proportion des enfants qui naissent avec la surdité, on n’a pas de facteurs de risque. Donc, ces enfants-là ne pourront pas bénéficier d’emblée de cette courroie de référence là avec les services de leur région. Maintenant, les poupons ont des suivis médicaux quand même assez rapprochés. Parfois c’est le médecin de famille qui va faire la référence ultérieurement, dans les premiers mois de vie. La problématique avec ça, c’est que ça surcharge un peu les services qui reçoivent tout ça et qui et qui font toute la pédiatrie de 0 à 18 ans. On essaie de de contenir cette vague-là de petits poupons qui viennent à nos portes et ça serait beaucoup plus facilitant de l’avoir par ailleurs, déjà, dans la période néonatale déjà filtrée (par le PQDSN), au départ. Donc il y a certains services quand même qui existent et courroies qui existent. Évidemment, le secteur privé est en effervescence aussi pour se positionner de plus en plus, on a des services, mais ce n’est pas encore disponible dans toutes les régions pour pallier non plus. – Nadine Tougas

Il faut aussi se rappeler que ce programme a été lancé il y a onze ans maintenant. À l’époque, on nous l’avait annoncé pour un déploiement total en deux ans à peu près. Ça fait pas mal de retard, donc c’est pour ça que nous (L’AQEPA) aussi on rappelle à chaque année la nécessité de mettre en place les moyens de le déployer dans tous les centres de naissance, avec toutes les contraintes qu’on connaît. Il faut voir ça comme un investissement dans le fond, parce que plus on identifiera tôt les surdités, plus l’intervention par la suite se fera facilement et les impacts négatifs seront moins complexes à rattraper. Et nous on est là à chaque année pour le rappeler. – Claire Moussel

QUELS SONT LES IMPACTS D’UNE SURDITÉ DÉPISTÉE TARDIVEMENT?

Le fait d’avoir pour un enfant une surdité non identifiée va le priver, en tout ou partie, de l’accès à ce qu’on appelle un bain linguistique, donc à ce qui va lui permettre de développer son langage comme n’importe quel enfant. Ça va entraîner évidemment des retards de développement du langage, des retards aussi psychosociaux, émotionnels, etc. Donc les impacts peuvent être multiples, ça dépend de plein d’autres éléments, évidemment. Il y a le sentiment de culpabilité des parents et toute la charge qui va venir après, justement pour essayer de rattraper ce retard. Une fois que la surdité est identifiée, ça va être encore plus d’efforts à fournir pour venir rattraper tout ce qui n’a pas pu être fait avant. – Claire Moussel

Ce retard-là nous suit jusque dans la période scolaire et on voit un nombre grandissant de décrochage par exemple. Donc socioéconomiquement, c’est à long cours, de ne pas le faire très tôt. – Nadine Tougas

Si on regarde les études scientifiques, le plus tôt est le mieux. Si on regarde par exemple le pire scénario, soit les enfants qui ont besoin d’un implant cochléaire, qui ont des pertes profondes, il y a de plus en plus d’études qui sortent, qui disent qu’il faut implanter avant douze mois. Si tu implantes avant douze mois, il y a de bonnes chances que le développement du langage sera similaire à celui d’un enfant qui entend normalement. (…) Et c’est sûr que ce n’est pas le jour que tu es identifié que tu es traité, il y a toujours des délais. Donc le plus tôt que l’enfant va être identifié, le plus tôt qu’il va être pris en charge, puis qu’on va pouvoir intervenir. (…) Souvent, il y a plein de problèmes de comportements qui ont été créés du fait que l’enfant n’a pas été capable de communiquer, veut communiquer. Souvent c’est des enfants normaux, mais ils ne sont pas capables de communiquer. Donc ça mène à des enfants qui vont être étiquetés autistes ou colériques, ou ainsi de suite parce qu’ils ne peuvent pas communiquer. Donc je pense qu’il y a aucun doute que le plus tôt est le mieux. – Dre Mélanie Duval

Ressources complémentaires : 

Programme québécois de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés (PQDSN)

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