Embauche de trois audiologistes scolaires à temps plein au Québec : quel sera leur rôle?

[Texte rédigé avec l’emploi du genre masculin afin d’en alléger la lecture]

8%, c’est le pourcentage de jeunes Canadiens âgés de 6 à 19 ans qui présentent une surdité de degré minime ou plus1. Selon la même source, la majorité (79%) de ces surdités sont unilatérales, ce qui augmente les chances qu’elles passent inaperçues, voire ne soient jamais diagnostiquées pendant la scolarisation.

Peu importe son origine, sa nature, son degré de sévérité, qu’il soit temporaire ou permanent, qu’il touche une/deux oreille(s), ou encore qu’il s’agisse d’un Trouble du traitement auditif (TTA), un trouble auditif peut entraîner des conséquences néfastes chez la personne qui en est atteinte.  Pensons par exemple à la capacité de comprendre la parole qui pourrait être réduite de façon significative, pire encore dans les environnements d’écoute bruyants.

Maintenant, imaginons que cette personne soit un élève en plein développement :

  • Langagier et de sa parole
  • Social et de sa personnalité
  • Cognitif et émotionnel
  • De ses apprentissages académiques

Imaginons que cet élève soit exposé en permanence à l’environnement bruyant qu’est l’école.

Imaginons que cet élève fasse de son mieux pour atteindre les exigences ou les attentes de son milieu scolaire et familial.

Imaginons que cet élève ne performe pas à la hauteur de son potentiel malgré toute l’aide et le support reçu par les adultes qui l’entourent.

Imaginons que cet élève soit plus fatigué que les autres à la fin de ses journées.

N’imaginons plus, la réalité est que ces élèves fréquentent nos classes tous les jours.

Où sont donc les audiologistes dans les écoles?

Selon un récent recensement effectué par Orthophonie et Audiologie Canada (OAC)2, environ une trentaine d’audiologistes travaillent directement au sein des écoles au pays.  Une trentaine, dont presque la moitié sont en Ontario, pour couvrir toutes les provinces et les territoires du grand Ô Canada.  [À noter que ce décompte ne tient pas en considération les audiologistes qui travaillent à contrat, comme sous-traitant ou de façon autonome].

La bonne nouvelle, c’est qu’en 2023, trois audiologistes ont été engagées au Québec pour travailler à temps complet dans le réseau scolaire public (CSSMB, CSSDM, CSSRDN)*, s’ajoutant aux deux audiologistes déjà présents à temps partiel dans leurs centres de services scolaire respectifs  (CSSDGS et CSSVT)* depuis quelques années.

L’arrivée d’audiologistes dans le système de l’éducation au Québec est une excellente nouvelle et un grand pas vers l’avant dans le continuum des services rendus à l’élève.  Cette nouveauté représente également un grand défi pour ceux et celles qui occupent ces postes.

Promouvoir la santé auditive par une approche écosystémique et en multidisciplinarité, c’est la chance que j’ai depuis quelques mois en travaillant au sein du Centre de services scolaire de Marguerite-Bourgeoys (CSSMB) à Montréal.

Dans mon cas, la première étape de ce défi a consisté à développer le mandat du service d’audiologie. Quel est son objectif et de quelle façon va-t-il pouvoir y répondre?  En un seul mot, je peux résumer l’objectif par : Accessibilité.

Le management de tous les systèmes qui affectent la communication et les apprentissages pour ces élèves est nécessaire pour s’assurer que chaque enfant a l’opportunité d’accéder à une éducation appropriée. »


– Extrait traduit en français du texte 16 Reasons why your school needs an educational audiologist, Educational Audiology Association3

En gardant en tête que chaque mandat est propre à son milieu en fonction du contexte et des besoins du CSS et de ses membres, c’est avec l’appui et la confiance de mes gestionnaires et de toute l’équipe d’adaptation scolaire que j’ai établi les rôles et responsabilités du service au CSSMB.  Comment? En effectuant plusieurs lectures, consultant des recherches, m’informant sur ce qui est fait ailleurs, sondant mes collègues professionnels à l’interne et en discutant avec les acteurs importants à l’externe (audiologistes de réadaptation, audiologistes cliniques, audiologistes du Montreal Oral School for the Deaf, etc.).

Sans entrer dans les détails, les responsabilités établies touchent à :

  • L’identification des élèves susceptibles de présenter un trouble auditif
  • Le dépistage et l’évaluation auditive via un service restreint et ultra priorisé
  • Les adaptations en classe et la mise en œuvre du plan d’intervention
  • La prévention et la sensibilisation : gestion du bruit et de l’environnement sonore, écoute de musique récréative, port de coquilles anti-bruit
  • Rôle conseil et formations
  • Amplification : gestion des systèmes MF et soutien en lien avec l’appareillage auditif

Ensuite, l’élaboration de 3 paliers d’intervention s’est avérée prioritaire:

(Palier 1) Interventions indirectes, par exemple en élaborant des ressources (ex. un site internet en déficience auditive), de la documentation « clé-en-main » et des formations à consulter.

(Palier 2) Interventions directes auprès d’adultes (enseignants, directions, professionnels), par exemple pour des discussions de cas.

(Palier 3) Interventions directes auprès d’élèves, par exemple en observant l’élève ou en complétant une évaluation auditive dans son milieu.

70 000 élèves à desservir dans 100 écoles

La réalité étant que le service d’audiologie vise à desservir plus de 70 000 élèves établis dans plus de 100 écoles sur tout le territoire du CSS, il est impossible pour un(e) seule audiologiste d’intervenir auprès de tous ni d’offrir, par exemple, un dépistage auditif universel.  En ce sens, les paliers 1 et 2 sont ceux qui doivent être le plus optimisés car ils permettent que des « agents multiplicateurs » interviennent sur le terrain sans l’implication directe de l’audiologiste.

Pour illustrer ce concept, imaginons par exemple que les orthophonistes et les enseignants (qui côtoient directement les élèves dans les écoles) suivent une formation (palier 1) portant sur la déficience auditive; ils deviennent alors plus compétents pour reconnaître les manifestations de la surdité (identification), peuvent émettre des recommandations aux parents (ex. consulter à l’externe en audiologie) ou encore apporter des adaptations dans leurs classes (ex. placement préférentiel, gestion du bruit via des mesures d’atténuation, etc.).

L’implication d’agents multiplicateurs grâce aux paliers 1 et 2 est primordiale car elle permet d’agir à plus grande échelle

Concrètement, le palier 3 du service d’audiologie n’est pas encore complètement lancé ni même annoncé, car plusieurs étapes restent à perfectionner avant de pouvoir se faire.   Par exemple, il faut établir un protocole d’évaluation auditive qui respecte les normes reconnues en audiologie (ANSI), qui respecte les normes déontologiques de l’Ordre professionnel des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ) et qui sera adapté au milieu de vie dans lequel il sera effectué (à l’école sans cabine insonorisée).

Ensuite, il faut établir le processus de demande pour ce service, ce qui représente un autre petit casse-tête administratif puisque seuls quelques élèves ciblés et jugés comme étant « prioritaires » pourront en bénéficier.  Quels sont alors les critères qui font qu’un élève soit classé « prioritaire » et que la direction d’école puisse faire une demande de consultation avec l’audiologiste?

Quelques pistes de réflexions sont qu’il doit présenter des manifestations de baisse auditive et/ou démontrer d’autres difficultés scolaires et/ou être en attente d’une autre évaluation professionnelle et/ou être impossible pour lui de consulter en audiologie à l’extérieur de l’école et/ou provenir d’un milieu défavorisé, et/ou présenter des facteurs de risque familiaux connus, etc.   Le tout reste encore à préciser.

En allant rencontrer ou observer les élèves directement dans leur école (avec l’approbation parentale), l’objectif du 3e palier d’intervention est d’offrir des services et des interventions personnalisés qui respectent l’environnement dans lequel évoluent ces élèves.

À la suite de telles interventions, les parents seront informés des résultats et des recommandations et accompagnés pour la suite des étapes à suivre, par exemple dans le cas d’une référence à l’externe pour des suivis.

En conclusion, je vous lance une perche : audiologistes, parents et intervenants scolaires, faire la promotion du rôle de l’audiologiste et de la santé auditive dans les écoles est le rôle de tous!  Plus on s’informe, plus on en parlera et plus nous comprendrons que l’audiologie est essentielle en éducation.

Qui sont les autres audiologistes qui auront cette chance d’avoir un impact positif immédiat chez les jeunes et de collaborer avec tous les autres intervenants de l’éducation?  Embarquez avec nous dans ce mouvement fabuleux!

En attendant, continuons de recommander qu’une évaluation auditive soit complétée avant l’entrée à l’école, comme il est déjà coutume de le faire pour la vision et la dentition.  Nous commencerons l’école sur la bonne note!

* CSSMB (Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys), CSSDM (Centre de services scolaire de Montréal), CSSRDN (Centre de services scolaire Rivière-Du-Nord), CSSDGS (Centre de services scolaire des Grandes-Seigneuries), CSSVT (Centre de services scolaire Vallée-des-Tisserands).

POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS

Les membres de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec peuvent se référer à la conférence du 4 octobre 2023 « Les premiers pas de l’audiologiste dans le réseau scolaire public québécois » disponible en rediffusion sur la plateforme Socrate.

Références :

  1. Statistiques Canada. (13 octobre 2016). Hearing loss of Canadians 2012 to 2015.  Page consultée le 28 mars 2023, au https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-625-x/2016001/article/14658-eng.htm
  2. Conférence de Krista Yuskow, Au.D., R. Aud., Why Students who are Deaf/Hard of Hearing Need Educational Audiologists, présenté par SAC-OAC, 17 octobre 2023
  3. Educational Audiology Association (EAA). (s. d.). 16 reasons why your school needs an educational audiologist. Page consultée le 28 mars 2023, au  https://www.edaud.org/position-stat/7-position-05-10.pdf
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