Assistante en audioprothèse, des oreilles à l’écoute

Presque 10 années d’expérience comme assistante en audioprothèse m’ont forgé une solide conviction de l’importance de ces métiers peu visibles.

J’avais envie au début de la rédaction de cet article de lister les « perles » des malentendants (ce que je ferais très vite), mais finalement, ce sont des histoires plus touchantes que le métier m’a permis de vivre qui me sont revenues

Ces échanges qui arrêtent le temps. Des moments de vie qui nous obligent à nous poser et à écouter. En grande majorité, la clientèle a entre 70 et 85 ans. Parler de personnes âgées à 70 ans devient presque une insulte aujourd’hui. Pour autant, ils sont nos sages et ils m’ont appris beaucoup (et fait aussi beaucoup, beaucoup râler – il n’y en a pas que des bons, hein, la bêtise n’a pas d’âge!). Laissez-moi vous raconter trois de ces rencontres.

« C’est mon trésor, vous savez »

La première, une dame d’un âge certain, amenée au rendez-vous par sa fille. Pressée, la fille, agacée de devoir attendre, jugeant bon de « souffler » à l’oreille de sa mère

 « BEN TU VOIS ON N’ÉTAIT PAS OBLIGÉES DE SE PRESSER. IL EST EN RETARD. »

La dame âgée fait semblant de ne pas comprendre, m’adressant un sourire vague d’excuse. Puis, sortant du rendez-vous :

« T’as besoin de piles , maman? DES PILES, MAMAN, POUR TON APPAREIL. »
« Mais ne crie pas, je t’entends bien, maintenant. Oui, je vais prendre des piles.
Combien je vous dois? « 

La plupart du temps, les clients âgés mettent du temps à trouver leur chéquier, puis à rédiger leur chèque en s’appliquant. Souvent une belle écriture, aux lettres bien attachées entre elles, qui me rappelle l’écriture de ma grand-mère sur ses cartes d’anniversaire.

La plupart du temps, les enfants de ces clients sont impatients et tentent de faire accélérer les choses. Mais très souvent, les clients tiennent à garder leur autonomie (leur dignité?) et rabrouent gentiment leur progéniture.

Après, ça se passe souvent comme ça :

 « MAMAN RESTE LÀ! JE VAIS CHERCHER LA VOITUUURE.
MAIS IL FAUDRA MARCHER PARCE QU’ON NEPEUT PAS SE GARER DEVANT » 

Saluant la fille, je m’approche de la mère pour papoter, le temps de…

« Faut l’excuser, ma fille, elle est très occupée.
Elle a deux enfants qui sont grands maintenant, mais ils ont toujours plein de choses à faire…
Moi je ne suis pas pressée, ça me fait même plaisir d’attendre ici avec vous.
Vous savez, je n’ai eu qu’un enfant. Et ma fille, c’est mon cadeau du ciel. Depuis toute petite elle a toujours été gentille avec moi. C’est mon trésor, même si elle est toujours de plus en plus pressée. Il n’y a qu’elle qui s’occupe de moi. »

Et très souvent, les confidences ne s’arrêtent pas là. J’en apprends des choses sur la vie de ma cliente et celle de sa fille. Si bien que lorsque « le trésor » repasse la porte, du haut de sa bonne cinquantaine d’années, j’ai un peu de mal à y discerner les joues rebondies de la petite fille qu’elle a été. Et puis, finalement, parce qu’on reste toujours le « trésor à sa maman », le ton de sa voix se radoucit, les gestes se font plus tendres.

« T’es prête, maman? On y va. On peut passer te faire des courses si tu veux, j’ai un peu de temps ». 

« Les mariés de l’année »

En 2013, je me suis mariée. Et je n’ai pas été la seule. Gérard et Corinne aussi. (J’ai modifié les prénoms, et même si je pense qu’ils ne m’en voudraient pas, cette histoire leur appartient).

Gérard est appareillé depuis quelques années. On pourrait le qualifier poliment de client  « casse-bourses ». Ancien militaire à la retraite, il a été veuf très tôt. Père de deux jeunes filles, il a refait sa vie avec Corinne, une pétillante jeunette de près de 12 ans de moins que lui. La vie s’est déroulée sans trop de heurts jusqu’à ce rendez-vous chez le médecin.

« Monsieur, vous êtes atteint de la maladie de Charcot. »

Du très sportif un peu aigri, Gérard s’est transformé. La maladie progressant, il s’est révélé plus humain et touchant. Voulant mettre Corinne à l’abri du besoin quand il viendrait à disparaître, il m’annonce, lors d’une de ses visites, qu’ils vont se marier. Moi, en plein dans les préparatifs de ma noce :

« Ah, génial ! Elle a trouvé sa robe? Et les bagues vous les aurez à temps pour la cérémonie? Vous déjeunerez où? Il y aura du monde?  »

Bref, on excusera la légère hystérie qui s’empare de toute future mariée qui se respecte.

« Euh, eh bien, en fait, on n’a pas prévu tout ça. On n’a plus trop l’âge. »
« Ben, ça reste un mariage quand même, il faut bien faire les choses. »

Je ne boude pas mon plaisir de vous raconter la teneur de la visite suivante de Gérard.

« Le restaurant est réservé, mon costume est prêt, Corinne a acheté une belle tenue. Nos bagues sont prêtes. Nos enfants vont jouer le jeu aussi.
Tout ça c’est un peu à cause.. ou plutôt grâce à vous. »

Quand on vous dit que les mariages sont pleins d’émotions, on ne soupçonne pas toutes celles qu’on vit avant ou après, que ce soit le sien ou pas.

« Je ne la lâcherai pas »

Cette dernière histoire va à nouveau parler de la relation mère-fille. Ne me demandez pas pourquoi c’est ça qui ressort, mais c’est ça qui me vient.

Paris, 2006. Passent la porte du centre d’audioprothèse, deux femmes. L’une, proche de la quarantaine, bien mise (“Sapée comme jamais”, le chanterait GIMS), pimpante, mais qu’on ne sent pas au “top”, quand même. L’autre, plus âgée, protectrice, prend la parole pour sa fille.

 « Nous venons pour ma fille. Elle a fait une surdité brusque. Elle a perdu une oreille du jour au lendemain, comme ça … Elle vit seule avec ses enfants … Elle doit se faire opérer pour mettre un implant cochléaire … On vient voir pour … »

Sa voix tremble, l’émotion la submerge. Sa fille, qui tentait de suivre notre conversation, comprend et sert la main de sa mère. On échange un peu avant l’arrivée de l’audioprothésiste. Je parle des solutions type vibreur, flash, qui permettent d’être prévenu lorsque le téléphone sonne ou que quelqu’un sonne à la porte.  Je préviens que ces systèmes sont coûteux et ne sont pas ou peu pris en charge par la Sécurité Sociale. La mère me coupe :

 « Peu importe, je payerai. Si ça peut l’aider … Je ne la lâcherai pas! »

Voilà donc quelques histoires que m’ont permis de vivre ce métier d’assistante en audioprothèse. Ce job est comme tous les jobs qui ne sont pas beaucoup valorisés, mais qui nous placent face à l’être humain parfois en souffrance. Ils nous forcent à prendre du recul sur le futile et remettre l’essentiel à sa place: au centre.

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