J’ai appris récemment que CBC, le réseau anglais de Radio-Canada, a lancé une comédie de situation (sitcom) où le personnage principal, l’humoriste canadien-anglais D.J. Demers est malentendant. J’ai aussi appris que ses numéros de stand-up comic et cette nouvelle comédie font beaucoup allusion à ses appareils auditifs.
Inutile de vous dire que ma curiosité a été piquée! De mémoire, c’est la première fois que le personnage principal d’une série canadienne se définit explicitement comme malentendant. Le cinéma et la télé nous ont plutôt habitués aux personnages sourds qui s’expriment en langue des signes, comme dans La famille Bélier, Children of a Lesser God, ou, plus près de chez nous, Le temps des framboises, à TVA. En France, il y a eu récemment le film On est faits pour s’entendre.
Je me suis donc ouvert un compte (gratuit) sur l’application GEM de CBC, l’équivalent de notre Tou.tv à Radio-Canada, pour visionner les deux premiers épisodes de la série One More Time, en ondes depuis le mois de janvier 2024. Je ne sais pas si c’est voulu, mais ce titre peut être compris à double sens : D.J. Demers (appelé DJ) est le gérant d’un magasin d’articles de sport d’occasion (équipement qui peut donc être utilisé One More Time), et ça veut peut-être souligner le fait que DJ demande parfois de répéter une autre fois car il n’a pas compris.
LE COMÉDIEN PRINCIPAL : IL A UNE RÉELLE PERTE AUDITIVE
Je ne connaissais pas ce comédien, né à Kitchener, en Ontario, qui a été diagnostiqué avec une perte auditive quand il était enfant. Dans la publicité entourant la série, CBC met beaucoup l’accent sur le fait que le personnage principal est malentendant.
J’avais donc hâte de voir le résultat, et surtout de quelle façon la perte auditive serait illustrée. J’ai eu ma réponse dès les premières secondes de l’émission, ha! ha! On peut voir la scène ici sur Facebook. DJ s’adresse à ses employés, la caméra est derrière lui, et comme il a les cheveux courts, ses deux appareils auditifs (contours d’oreilles) argentés sont très visibles. Heureusement, il porte un modèle récent et non pas les énormes et horribles prothèses auditives beiges des années 80, cauchemar de tous ceux et celles qui en ont porté!
Tout au long de l’émission, et surtout parce que DJ a les cheveux courts, j’ai eu l’impression qu’on ne voyait que ses appareils auditifs. Mais j’ai aussi vite réalisé que sa malentendance est un personnage en soi car on y fait très souvent référence. Et l’autodérision de DJ en ce qui concerne sa perte auditive est exploitée à fond. C’est un humour bon enfant, un peu comme dans Discussions avec mes parents de François Morency. DJ est un éternel optimiste, naïf, a un grand cœur et veut aider tout le monde. Sa perte auditive n’est pas un obstacle pour lui.
LE SCÉNARIO
J’ai visionné les deux premiers épisodes de la série pour pouvoir vous en parler. Nous n’avons vraiment pas le même sens de l’humour que les Canadiens anglais, ha! ha! Mais bon, l’effort est honnête, et même si j’ai levé les yeux au ciel quelques fois devant certains clichés, ça reste une façon ludique d’enseigner des stratégies de communication aux entendants. Décortiquons quelques scènes où la perte auditive de DJ est mentionnée.
Dans la première émission, alors qu’il s’adresse à son équipe pour les motiver, qu’il fait face à trois employés et que son adjointe Cynthia l’interpelle deux fois sans qu’il ne réagisse, la vendeuse Jen lui dit (traduction libre) :
– Hey, patron!
– Quoi?
– Je crois que Cynthia essaye de vous dire quelque chose!
– Ah! Je m’excuse Cynth!
– Tu sais, j’ai du mal à entendre quand je parle et tu es à ma droite ; c’est ma mauvaise oreille.
– Ah oui c’est vrai!
– Ou si tu es derrière moi, car les micros pointent seulement vers l’avant!
Ça ne fait que deux minutes que l’émission est commencée, la table est mise!
Quelques minutes plus tard, DJ s’approche d’un client qu’il veut aider, mais celui-ci semble tout gêné et chuchote. DJ lui demande de répéter, mais Jen s’interpose avec fracas et se met à traduire en langue des signes (avec des mouvements très exagérés) ce que le client vient de dire. DJ explique où trouver l’article que le client cherche. Une fois seule avec DJ, Jen se tourne vers lui, toute fière d’elle-même et lui dit ceci en ASL (langue des signes américaines) :
– Alors…? J’ai passé les trois derniers mois à suivre des cours intensifs de langue des signes. C’est pas mal bon hein?
DJ lui répond :
– Très bon! Très impressionnant! Mais tu sais que je ne connais pas la langue des signes, n’est-ce pas?
– Quoi? (sur un ton fâché) Ah non, je suis désolée! J’ai juste tenu pour acquis (en pointant son oreille et en mimant un appareil auditif) …
– Non non, pas besoin de t’excuser! Je compense ce que mes oreilles ne peuvent comprendre avec le langage non verbal, la lecture labiale et le contexte.
Bon, j’avoue que cette scène m’a fait rire, et pouf! voilà un mythe déboulonné…
Lorsqu’il apprend que son concurrent Carlito a organisé un genre de carnaval dans le stationnement de son commerce pour nuire à sa collecte de fonds annuelle, DJ s’y rend pour tenter d’attirer les clients vers son magasin à lui. Il tombe rapidement face-à-face avec Carlito, et les deux hommes se mettent au défi de se faire tomber dans le Dunk Tank (traduction : Tombe à l’eau), vous savez cette petite piscine dans laquelle on tombe si quelqu’un envoie une balle assez fortement et très précisément sur une cible? L’adjointe de DJ s’inquiète alors :
– Hey DJ? Ne devrais-tu pas enlever tes appareils auditifs? Ils ne sont pas résistants à l’eau, n’est-ce pas?
– Cynthia, si j’enlève mes appareils auditifs, Carlito va penser que je m’attends à ce que ce soit lui qui gagne!
Et devinez quoi? Bien sûr, c’est DJ qui tombe dans la piscine avec ses appareils auditifs. Ils cessent de fonctionner et à ce moment-là DJ n’entend plus rien à l’exception D’UN son, que je déteste : un cillement, un acouphène. Ouf. C’est entrecoupé de bruits de foule, mais dès que la caméra suit le regard de DJ, zéro son, sauf l’acouphène.
Ce qui suit tout de suite après est bien rendu visuellement, je dois l’avouer. Pour avoir été dans des situations similaires, ça ravive de mauvais souvenirs. Quand nos appareils auditifs cessent subitement de fonctionner, c’est paniquant, on est en détresse, on perd nos repères. Cette scène, pour les téléspectateurs entendants, est une véritable leçon sur ce qui se passe quand on n’entend plus rien, mais qu’on peut encore s’en sortir : DJ regarde attentivement une petite fille, la caméra zoome sur celle-ci et zoome encore en plus gros plan sur sa bouche, le reste est flou. DJ s’approche et dit un bon mot à l’enfant directement en lien avec ce qu’il pense qu’elle vient de dire, car il peut lire sur ses lèvres. Dans les faits il a mal compris, mais son message est bienveillant. Il refait la même chose avec un petit garçon, puis un adulte. Il est capable de lire sur leurs lèvres, et il se comporte comme un superhéros avec un super-pouvoir (évidemment ces trois personnages reviendront comme clients plus tard à son magasin).
La scène suivante (que l’on peut voir ici sur Facebook) m’a fait grincer des dents. DJ sort d’un étui deux énormes et horribles prothèses auditives beiges. Cynthia lui demande :
– Tu gardes toujours une deuxième paire?
DJ lui fait signe d’attendre :
– Il y a un délai de cinq secondes avant qu’elles s’allument.
– Ah oui bien sûr!
– Tu gardes toujours une deuxième…
[Il chantonne Doo doo doo doo doo].
– Et on est de retour!
– Tu gardes toujours une deuxième paire avec toi?
– Bien sûr! Tu ne sais jamais quand tu te feras humilier en tombant dans une piscine!
Hum, ici je trouve que ça renforce le mythe que tous les appareils auditifs sont gros et laids.
Évidemment, il va porter ces vieux appareils jusqu’à la fin de l’émission, où la serveuse du bar dans lequel il a ses habitudes lui demande :
– Tu portes des nouveaux appareils auditifs DJ?
– Oh, non, ils sont très anciens, en fait. Ils pèsent environ 17 livres chacun et me font ressembler à un Transformer sourd! Mais ils sont toujours là quand j’en ai besoin!
Dans le deuxième épisode, le magasin de DJ se retrouve avec une paire de patins qui auraient appartenu à Maurice Richard. DJ fait venir une évaluatrice certifiée qui hurle dans le magasin : ça vaut 50 mille dollars! Plutôt que de garder l’argent, DJ veut retracer le propriétaire et en attendant, il garde les patins avec lui en tout temps.
Quel hasard le soir même au bar du coin, l’évaluatrice est là! Elle tente de séduire DJ, qui l’amène chez lui, mais elle n’entre pas, car elle ne veut pas le réveiller le lendemain avec son alarme, dit-elle, elle a un rendez-vous important. Réplique de DJ :
– Ah, mais j’enlève mes appareils auditifs pour dormir. À moins que ton alarme sonne aussi fort qu’un moteur d’avion, je serai ok!
– Ah mais non, on se reprend!
Évidemment, dans la nuit, la fameuse évaluatrice entre par la fenêtre en faisant un bruit d’enfer, accidentellement au début (comme dans un film de Louis de Funès), puis elle crie pour réveiller DJ qui dort profondément. On voit ses appareils et les patins bien en évidence sur la table de chevet. La femme repart par la fenêtre en emportant les fameux patins…
Non, je n’ai pas ri, désolée. Et tant mieux si ça rappelle aux malentendants d’être prudents dans ce qu’ils dévoilent à leur sujet…
Alors, le verdict? Je ne pense pas visionner d’autres épisodes, ce n’est pas mon genre d’humour. Il y a des intrigues secondaires moins intéressantes pour moi, évidemment je n’ai parlé que des références à la perte auditive du personnage principal.
Mais quand même, pour le public anglophone, c’est une façon d’en apprendre plus sur notre réalité.
Et vous, aimeriez-vous ce genre de comédie en français? Écrivez-nous à sourdine@auditionquebec.org.
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