Née avec le syndrome de Goldenhar : Ils me voyaient comme une chose

Je suis née en 1960 avec le syndrome de Goldenhar, en Suisse, à 30 kilomètres de Genève. Je n’avais pas d’oreille droite mais une tache noire de la forme d’un abricot sur la joue, ainsi qu’une légère asymétrie du visage, une corde vocale en moins, une vertèbre en plus et surtout, de désagréables troubles de l’équilibre. Aujourd’hui on le sait : le gène architecte FOXI 3 qui gère la construction de l’oreille en contrôlant l’expansion d’autres gènes, est responsable de tout cela! 

Parfois, il arrive que des variants apparaissent au cours du développement fœtal, entraînant des malformations pouvant toucher les reins, le cœur, voire la capacité intellectuelle. 

Nous pouvons détruire une vie en voulant bien faire

Les philosophies ont changé, tout comme l’approche face aux enfants nés différents. Il est cependant important que les professionnels prennent conscience des conséquences que peuvent avoir certains actes.

Dès l’âge de 4 ans, sans aucun soutien psychologique et surtout sans mon consentement, on a essayé, 10 fois au moins, de me fabriquer une oreille. Pendant ce temps, dans mes silences de petite fille, je me posais une question que je pourrais traduire en tant qu’adulte par : “Mais pourquoi ne voient-ils pas que j’existe?” 

Car pour moi, mon handicap n’existait pas. Dieu m’avait créée ainsi alors je ne me voyais pas différente des autres! C’est vrai, à trois ans je ne parlais pas encore, mais je sais que très tôt déjà, je pensais avec des mots que je n’exprimais pas à voix haute. Du coup, j’ai développé une manière différente de communiquer, plus dans le ressenti que dans le verbe.  

En débutant l’école, j’ai dû apprendre à me concentrer davantage, sur les paroles que je n’arrivais pas à répéter. Et si je suis tombée dans le chaudron du sens des mots et des déductions mathématiques, l’orthographe a toujours été une mission  difficile pour moi. 

Puis finalement dès l’âge de 11 ans et dans la simplicité de la vie, au milieu d’une grande famille recomposée où personne n’a prêté attention à mon handicap, mon cerveau a si bien compensé que j’ai ignoré très longtemps mes capacités à entendre avec les yeux et bien au-delà. 

Il est vrai que je suis isolée dès que plusieurs personnes parlent en même temps, particulièrement dans une langue qui n’est pas la mienne. J’apprécie le calme. Mais je ne suis pas seule au monde et loin de l’agitation, beaucoup de personnes se sentent comprises près de moi.

Les adultes semblaient ne pas avoir accepté mon handicap. Pourtant il m’a conduite à développer une vie intérieure bien plus développée que la moyenne, sans pour autant m’éloigner de la réalité du monde et de mon entourage. 

Entendre à 47 ans

En 2007, un médecin m’a parlé d’un appareil BAHA que l’on pouvait fixer à une vis, implanté dans l’os du crâne, au-dessus de mes cicatrices. Quelle horreur, j’ignorais qu’il y avait autant de bruit autour de moi !  Mais quelle joie j’ai ressentie, en entendant tous ces oiseaux  au-dessus de ma tête!  Cet appareil m’aide beaucoup dans mes relations avec des vis-à-vis… mais j’avoue qu’il peut être fatigant, lorsqu’on a vécu 47 ans dans un demi-silence.  Par contre, s’il n’est pas pratique pour se coiffer, ou lorsqu’il faut mettre un casque de moto ou de vélo, il a l’avantage d’être enlevé ou éteint dès que j’ai besoin de calme.  

Mais pendant mes 8 dernières années de travail (NDLR : Dominique De Luca a travaillé en tant qu’assistante en soins à domicile et dans des établissements médicalisés),  dans une construction mal sonorisée  avec de nombreux pensionnaires et une équipe bruyante,  cet appareil qui capte le moindre petit bruit m’a fait  tirer la langue.…bouf… je préférais souvent travailler sans l’allumer, car je n’entendais plus les personnes en face de moi. Je me concentrais donc sur l’oreille gauche, mais davantage encore sur la lecture labiale, que je conseillerais à tout le monde. 

Malheureusement, mon handicap touche aussi mon œil droit. Les images mettent plus de temps du côté droit que gauche, pour arriver au cerveau, ce qui provoque des pertes d’équilibre. J’ai aussi pu constater que la fatigue, mais surtout le stress, augmentent mes problèmes de coordination. Je suis tombée plusieurs fois. En randonnée, dès que le sol n’est pas plat, je dois marcher avec des bâtons. Et je peux avoir des pertes d’équilibre, voire des vertiges, dès qu’il y a trop de monde qui bouge près de moi. Je pars toujours sur la droite. Il suffit que je touche le bord d’une chaise ou la veste d’une personne pour que tout se passe bien.  Dans la rue, je me concentre sur mon équilibre en respirant lentement et posant mentalement une main sur mon nombril, les pieds écartés au niveau des épaules. C’est une position très efficace, connue par les adeptes d’art martiaux et de karaté. Et je souris à la vie. 

Un lien avec le Québec

Malgré tout cela j’ai le sentiment d’avoir eu une vie normale et surtout deux merveilleux enfants, qui ont dû apprendre à ne pas faire trop de bruit! J’ai presque envie d’en rire! Mon fils, Raphaël De Luca, qui a fait toutes ses classes de hockey  en tant que gardien, a eu l’occasion de s’entraîner avec Dan Bouchard, une de vos grandes légendes. Grâce à ses conseils, le 2 février 2020, Raphaël a participé à la victoire de la Coupe de Suisse de hockey sur glace en tant qu’entraîneur des gardiens, avec d’autres Québécois. Je suis très fière de ses exploits et de notre lien avec le Québec!

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