Les bienfaits de l’introduction à la langue des signes

J’ai récemment été interpellé par l’article Implantation cochléaire : les bienfaits de l’initiation à la langue des signes, qui a été partagé par M. Farouk Bouanane, directeur de l’École provinciale du Consortium Centre Jules-Léger à Ottawa (CCJL), l’école où j’ai travaillé principalement en surdicécité de 1990-2007. 

L’article met en lumière une étude de la chercheuse Audrey Delcenserie, étudiante de doctorat en neuropsychologie, où il est question d’initier les enfants à la langue des signes avant et après l’implantation cochléaire, car, selon ses recherches, on a constaté «  les bienfaits sur le développement du langage  et  de la mémoire…et éviterait  aux enfants sourds de vivre « les effets indésirables liés à un retard dans l’acquisition langagière. » Elle ajoute que : «   la période propice de ces deux systèmes (visuel et oral) se situe dans les 12 premiers mois de vie. » « On parle de bilinguisme multimodal »….permettant aux jeunes apprenants « de passer d’une langue à l’autre. »

Permettez-moi de partager avec vous mes observations ainsi que mon expérience professionnelle dans le domaine de la surdicécité. Depuis les débuts de ma carrière, l’apport des neurologues et des neuropsychologues a changé notre façon d’évaluer les enfants ayant une surdité et surdicécité et de mieux comprendre comment ils apprennent.

J’attire votre attention sur la photo qui pourrait être un papa, main ouverte,  pouce appuyé sur son menton représentant le mot « maman » et le bébé qui regarde les doigts du père. Le bébé ne semble pas avoir d’implant, ni de prothèse. On ne sait pas non plus si le papa parle, mais ce qui me paraît évident, c’est que ce bébé entendant ou sourd est attentif; il écoute sans doute et apprend avec ses yeux.

Cette image m’a interpellé. Je peux vous confirmer, comme papa de jumeaux entendants nés en 1997, qui avaient des otites durant leurs deux premières années, qu’ils ont commencé à faire leurs signes dès l’âge de quatre mois. Il me semble qu’ils suivaient leur développement normal, si je me fie à ce document de l’Institut national de santé publique du Québec sur les étapes du développement de l’enfant : Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans.

Ceci dit, en tant que consultant en surdicécité au CCJL depuis 1990, j’ai toujours utilisé les signes et la voix, pas seulement avec mes enfants, mais aussi avec les bébés sourdaveugles et les enfants plus âgés de parents francophones en Ontario. Sans savoir avec certitude, même avec des données médicales, ce que les enfants pouvaient voir et entendre, nous utilisions la voix et les signes quand on leur parlait. Ça s’apparente à « l’approche bimodale » préconisée dans l’article auprès des enfants avec implants. Selon notre approche durant notre propre formation à l’Université Western au campus de Brantford, en Ontario, on devait utiliser tous les moyens possibles pour que les enfants sourdaveugles comprennent nos mots, les imitent et réagissent. Notre credo : tenter de comprendre leur fonctionnement et respecter leur choix de communication. Notre moyen de communiquer : utiliser la langue des signes à courte distance ou de façon tactile et la parole.

En surdicécité, ce qui importe le plus ce ne sont pas nécessairement les audiogrammes et examens visuels; nous nous fions au fonctionnement des enfants et respectons leurs choix de communication. Parfois les enfants ont des prothèses auditives ou des implants cochléaires, certains préfèrent la communication visuelle ou tactile, d’autres utilisent leur audition et vision résiduelles, d’autres ont de la difficulté à utiliser leurs deux sens de distance en même temps.

APPRENDRE LA LSQ ET LA LANGUE PARLÉE EN SIMULTANÉ, C’EST BÉNÉFIQUE!

J’arrive à la conclusion que d’enseigner aux jeunes enfants la langue des signes en même temps que leur apprentissage de la parole ne peut qu’être profitable pour les enfants implantés et, j’ajouterais même, avec des enfants ayant des prothèses auditives. Comme dit le résultat de l’étude, « on pourrait croire que l’initiation à la langue des signes accapare les aires du cerveau vouées à l’apprentissage de la langue orale, or on constate ses effets positifs avant et après l’opération… », selon son auteure Mme Delcenserie. Les temps changent! 

Je me souviens lorsqu’on interdisait aux enfants en thérapie en milieu hospitalier, après leur implantation cochléaire, d’apprendre la langue des signes, croyant que ça pourrait retarder leur apprentissage de la langue parlée. Aussi, certaines thérapeutes que je croisais à l’hôpital pour enfants, il y a maintenant 27 ans, ne voyaient pas d’un bon œil que j’enseigne la LSQ à mes jumeaux de moins d’un an, disant que ça pourrait retarder leur apprentissage…eh bien elles se sont trompées. Je suis très heureux d’apprendre que les nouvelles générations d’audiologistes et d’orthophonistes aient pu suivre au moins un cours de LSQ durant leur formation. L’étude de Mme Delcenserie et d’autres démontrent la capacité d’apprendre et la plasticité du cerveau des jeunes enfants. Un message d’espoir pour les parents et un renseignement important pour les enseignants de ces enfants.

En fait, je crois que tous les enfants ont droit, dès la naissance, de profiter de tous les moyens possibles pour mieux apprendre à communiquer, pour se faire comprendre et pour faire leurs propres choix. Maintenant, on voit de plus en plus d’enfants ayant un ou deux implants dans nos écoles en Ontario et au Québec. Ces enfants qui apprennent  la LSQ et la langue parlée peuvent socialiser avec les enfants dans les écoles de leur quartier et aussi avec la communauté sourde quand ils en auront la possibilité. Ils seront fiers d’avoir, au minimum, ces deux langues!

NOTES SUR L’AUTEUR

Jean-Marc Cholette a été premier consultant et coordonnateur en surdicécité de 1990 à 2007 au Consortium Centre Jules-Léger à Ottawa. Il y est aujourd’hui bénévole. Il a également mis sur pied et enseigne, depuis une vingtaine d’années, en collaboration avec Christine Sauvé-Guindon, des cours de spécialisation universitaire pour enseignants-es en français en surdicécité à la Faculté d’éducation à l’Université d’Ottawa.

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

Implantation cochléaire : les bienfaits de l’initiation à la langue des signes :

https://bit.ly/3VAFVmN

Segment de l’émission “Les années lumière” à la radio de Radio-Canada le 5 mai 2024 :

Quand les enfants sourds apprennent la langue des signes avant la parole :

https://bit.ly/3KDbGpb

Consortium Centre Jules-Léger à Ottawa : https://ccjl.ca/

Juin, le Mois national de la sensibilisation à la surdicécité au Canada

Aller au contenu principal