La journée nationale de l’audition du Québec (JNAQ) se tiendra de nouveau en mai pour une édition sur le bruit récréatif et les risques sur l’audition des jeunes et moins jeunes. Il s’agit d’un enjeu de société majeur. En guise d’introduction à la JNAQ qui aura lieu dans un mois, nous vous présentons les résultats d’une revue de littérature récente sur les jeux vidéos et les possibles effets néfastes sur notre audition.
Peu de recherches se sont penchées sur la question auparavant. Pourtant, il s’agit de l’une des activités de loisirs les plus populaires au monde. On estime qu’il y avait plus de 3 milliards de joueurs dans le monde en 2022. Il est effectivement très plausible de penser que jouer de longues heures à des jeux vidéos puisse constituer un facteur de risque modifiable de développer une surdité et des acouphènes. En effet, en raison des effets sonores incroyables, de la musique d’ambiance enivrante et de leurs histoires engageantes, les jeux vidéos et sports électroniques (esports) sont souvent joués à des niveaux sonores de haute intensité et pendant de longues périodes.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît l’exposition récréative volontaire à des sons à volume élevé, connue sous le nom d’écoute dangereuse, comme un facteur de risque modifiable important de la perte auditive. Elle peut survenir via l’exposition à plusieurs sources connues et bien documentées (appareils d’écoute personnels, concerts et lieux de divertissements). Par contre, malgré leur popularité, les jeux vidéos et les esports n’ont pas fait l’objet d’autant d’études en lien avec leurs effets négatifs sur l’audition.
L’Union internationale des télécommunications (UIT) en collaboration avec l’OMS a développé des limites d’exposition au bruit. Ces limites prennent en considération l’intensité sonore et le temps d’exposition en fonction d’un facteur de mesure (bissection). Ainsi, plus le niveau sonore est élevé, moins longtemps on peut s’y exposer.
Par exemple, pour un adulte, sur la base d’un niveau d’exposition au bruit admissible de 80 dB pendant 40 heures par semaine pour être sécuritaire pour l’audition (taux de bissection de 3), cela nous donne quelque chose comme ce qui suit :
Les niveaux sonores sécuritaires
Pour les enfants, les niveaux d’exposition au bruit autorisés sont inférieurs et peuvent être basés sur un niveau d’exposition au bruit autorisé de 75 dB pendant 40 heures par semaine. Selon cette définition, les enfants peuvent écouter en toute sécurité un son de 83 dB pendant environ 6,5 heures, un son de 86 dB pendant environ 3,25 heures, un son de 92 dB pendant 45 minutes et un son de 98 dB pendant seulement 12 minutes par semaine.
Il s’agit d’une intensité sonore moyenne mais elle n’englobe pas toujours les bruits d’impacts. En général, l’audio des jeux vidéo comprend (1) des sons d’intensités similaires et (2) souvent (en particulier dans les jeux de tir), des sons impulsionnels. Les limites d’exposition admissibles aux bruits impulsifs varient mais sont d’environ 100 dB pour les enfants et de 130 à 140 dB pour les adultes.
Une étude a mesuré spécifiquement les niveaux sonores de cinq jeux vidéos (enregistrés dans un environnement avec un faible bruit de fond) à l’aide d’écouteurs connectés à la console de jeu et les niveaux sonores moyens étaient de 85,6 à 91,2 dB(A) pour quatre jeux de tir (first-person shooter ou FPS) et de 85,6 dB(A) pour un jeu de course. De plus, des niveaux de pression acoustique de pointe/crête (peak) ont été mesurés entre 113,4 et 118,7 dB(C) pour les jeux de tir et 104,9 dB(C) pour le jeu de course. Enfin, les niveaux sonores moyens ont été combinés à des périodes de calme pour calculer l’exposition sonore quotidienne. Ainsi, avec 4 heures de jeu, le niveau d’exposition sonore estimé est de 75,9 à 81,5 dB(A). Avec 8 heures de jeu, les niveaux d’exposition sonore augmentent à 78,9 à 84,5 dB(A). On conclut donc à un niveau quotidien d’exposition sonore provenant des jeux vidéo très près des niveaux d’exposition sonore maximaux sécuritaires.
Après avoir passé en revue toutes les études pertinentes sur le sujet, seules deux études publiées au cours des dix dernières années ont mesuré objectivement les niveaux sonores moyens des esports ou des centres d’arcades et ont signalé des niveaux sonores élevés d’environ 84,6 à 91,2 dB(A). En outre, trois études qui se concentraient davantage sur les habitudes d’écoute ont indiqué que les individus passaient en moyenne 3 heures par semaine à jouer à des jeux vidéos.
Sur la base des niveaux d’exposition au bruit admissibles de l’OMS, le nombre maximum d’heures par semaine pendant lesquelles un jeune peut écouter en toute sécurité à 83 dB, 86 dB et 92 dB est respectivement de 6,5 heures, 3,25 heures et 45 minutes. Pour les adultes, le nombre maximum d’heures par semaine passe respectivement à 20 heures, 10 heures et 2,5 heures. Or, les sons impulsionnels ou bruits d’impact sont également courants dans les jeux. Une étude a rapporté que les sons d’impulsion pouvaient atteindre des niveaux aussi élevés que 119 dB(C) pendant une partie de jeu.
Des risques sérieux de troubles auditifs permanents
La perte auditive induite par le bruit ou causée par le bruit est le résultat d’une exposition récurrente (ou unique mais à forte intensité) à des sons très forts. Cette surdité est permanente. Les signes avant-coureurs de ce type de perte auditive comprennent l’apparition (1) d’acouphènes, (2) d’une hyperacousie ou sensibilité accrue aux sons, et/ou (3) de difficultés de compréhension de la parole dans le bruit. De plus, les recherches des dernières années ont mis en lumière l’existence de la « perte auditive cachée », elle aussi liée à une exposition aux bruits et qui se manifeste par les difficultés auditives nommées ci-haut sans diminution des seuils auditifs à l’audiogramme.
Comme beaucoup de jeunes ont des pratiques d’écoute dangereuses, une hypothèse suggère que la perte auditive cachée pourrait être assez courante chez la jeune population. L’exposition à des sons de forte intensité plus tôt dans la vie rendrait également plus vulnérable de développer une surdité importante avec l’âge (presbyacousie ou surdité due à l’âge et au vieillissement).
Dans les cas de risques modifiables de développer des troubles auditifs, il faut se rappeler qu’il est possible de prévenir la perte auditive grâce à des pratiques de santé publique connues, au développement et à la mise en œuvre des politiques mondiales axées sur la promotion de pratiques d’écoute sécuritaires.
Références :
Dillard, L. K., Mulas, P., Der, C., Fu, X., & Chadha, S. (2024). Risk of sound-induced hearing loss from exposure to video gaming or esports: a systematic scoping review. BMJ Public Health, 2(1).