Malentendant à l’école

Ah l’école, le primaire, le secondaire. L’odeur du cahier neuf, le goût de la colle LePage (ou Cléopâtre en France), les listes des classes… Il en faut peu pour replonger dans nos (bons?) souvenirs passés sur les bancs de l’école. Pour un malentendant, ces souvenirs se parent d’une légère couche de sueur, celle du stress qu’engendre une mauvaise audition.

Parlons de ces situations d’angoisse

Je tiens à préciser que je me suis faite appareillée à la fin du secondaire. Je parle donc de situations vécues en France par une jeune fille qui n’entendait déjà pas très bien (50% de perte bilatérale) mais qui en plus ne voulait pas encore passer le cap de l’appareillage. Et le stress du lycée, quand on n’entend pas bien, ça commence dès le premier jour !

Malentendante, pendant l’appel des classes

A l’époque (je parle des années pas si lointaines de la fin des années 90), point encore d’internet et autres facilités informatiques. Pour savoir dans quelle classe je me trouve, je dois tendre l’oreille pour entendre mon nom.

– Classe de quatrième année, je demande à venir se présenter :  Auré## AH###, Jessi## Bou##, #### ##### (!), Angéli### DUB### »

– OUIIIIIIII c’est moiiiIIIIIIII ! (On note la légère hystérie de celle qui est ravie d’avoir entendu son prénom!). 

Aïe, c’est bon pour cette fois, j’ai entendu mon nom. Je vais pouvoir me détendre et suivre le groupe pour rejoindre notre salle de classe. Salle de classe qui a été précisée pendant l’appel mais que je n’ai pas entendu, bien sûr. 

Malentendante, interrogée au tableau

Classe de cinquième année de secondaire, cours de sciences. Exercice au tableau. L’enseignant :

– Je vais demander à …. Angé### de venir faire l’exercice au tableau

– J’ai pas fini l’exercice hier soir, je ne comprenais pas…

– Pas de souci, les autres vont vous aider.

Ok. Je me rends au tableau, en jetant un coup d’œil aux « autres ». La salle doit bien faire 50 m à vue de nez (du mien en tout cas). Les élèves sont répartis par rang de 5 sur 6 rangs au total. Je prends une grande inspiration. Et commence à écrire mes réponses.

– Ah non c’est pas ça. Quelqu’un peut aider Angélique ?

– Oui, moi.

Je me retourne. Une élève se propose. Cool, je m’avance pour reprendre ma place.

– Ah non restez là Angélique. Elle va vous donner les réponses.

Elle

… est assise au dernier rang de la classe.

… a une toute petite voix.

… a les lèvres cachées par les 5 rangs d’élèves vautrés et qui chuchotent entre eux, histoire de créer un univers sonore idéal.

Je m’apprête à vivre l’un de mes pires moments de mon secondaire.

– La réponse c’est ##### et ##### quand on ##### pour donner #####

– Comment?

– ##### et ##### quand on ##### pour donner #####

Je me retourne face au tableau pour tenter quelque chose. Ma température corporelle doit avoisiner les 500°F. Mes joues sont en feu. J’ai les yeux qui louchent….

Bref “JE VAIS BIEN” comme dirait Céline. L’enseignant me voit hésiter. 

– Ah, visiblement, il y a un problème.

– J’ai pas entendu ce qu’elle m’a dit.

– Ok, vous lui répétez, s’il-vous-plaît

– ##### et ##### quand on ##### pour donner #####

Et là, bizarrement, le silence se fait dans toute la classe. Tout le monde me regarde. Y compris le prof, qui se trouve à 2 m de moi. Mes yeux doivent lancer des appels de détresse.

Le prof comprend que je n’entends pas bien (ah oui c’est un rapide). Il va, pensant bien faire, utiliser la méthode, que dis-je LA méthode qui permet à un malentendant de se faire remarquer et de vivre le moment présent avec un sentiment de plaisir infini.

Le prof, à deux mètres de moi, va HURLER la réponse en A-R-T-I-C-U-L-A-N-T exagérément. J’ai le cœur tout serré de gêne et de honte. Je finis l’exercice au tableau et je rejoins ma place les yeux plein d’eau. Ma détresse visible a semblé toucher l’enseignant car suite à ça, je n’ai plus jamais été interrogée au tableau. J’en ai retiré ce point positif de l’histoire.

Malentendante, pendant un devoir surveillé

L’enseignante précise « Attendez avant de commencer, une chose importante pour la question 3, n’oubliez surtout pas de ######, sinon vous pourrez toujours ##### à la question ####. Vous avez tous bien compris? Allez-y! »

Il arrive aussi que cette situation devienne un poil plus humiliante encore. L’enseignante qui surveille le devoir, passe devant ma table et s’aperçoit que je rédige une réponse à la fameuse question 3.

Une main sur l’épaule, elle lance : « Attendez, je vois que certains n’ont pas fait attention à ce que j’ai dit pour la question 3. Soyez attentifs un peu. J’ai dit qu’il fallait y répondre EN DERNIER si vous avez encore du temps! (toujours la même méthode : HURLEMENT et EXAGÉRATION, on devrait souffler ce titre à Amélie Nothomb).

Malentendante, quand ton voisin de table te chuchote

– Hey Angélique, tu peux ##### ####### ############## ############# ####### (ouais c’est un bavard)?

– Comment?

– Tu peux ##### ####### ############## ############# #######?

– Ouais, attends, là, j’écoute la prof, désolée.

– Pfff je te demande pas grand chose, n’importe quoi…

À vrai dire, cette situation se représente à chaque fois que je vais dans une conférence, une réunion. Je me mets à suer de grosses gouttes quand je vois mon ou ma voisin(e) se pencher vers moi, la main cachant sa bouche pour ne pas parler trop fort.

Autant vous le dire, JE NE COMPRENDS RIEN quand on me chuchote quelque chose.

Donc si je hoche la tête dès le début, ça veut dire « oui oui je ne comprends rien de ce que vous me dites ». Des fois, en “challenger” que je suis, je tente un «  Comment? ». Mais le résultat est toujours le même, je ne comprends pas mieux le chuchotement la deuxième fois.

Et si c’était à refaire? Oui, mais pas sans mes appareils auditifs!

On le sait tous, le secondaire marque notre jeune existence de bien des façons. En repensant à ces situations, des années après, je peux le confirmer : je ne voudrais pour rien au monde y revenir. Par contre, si j’avais à le faire, je me ferais appareiller dès le début de ma perte auditive. J’ai longtemps eu des complexes à l’idée de porter des appareils auditifs, en craignant d’être rejetée par mes amis. Depuis, j’ai réalisé combien porter des appareils auditifs ne se “voit” pas quand on compare à quelqu’un qui n’entend pas, mais qui n’est pas appareillé. En étant appareillée, je suis les conversations, j’entends et je comprends mes interlocuteurs, l’attention du groupe est tournée vers la conversation. Quand je n’étais pas appareillée, je répondais soit à côté, soit vaguement, soit pas du tout et j’évitais même de me retrouver prise dans les discussions. 

Les appareils auditifs, c’est bon pour la santé, même des plus jeunes! 🙂

 

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