Pour un diffuseur public inclusif et sans obstacles

Je me souviendrai toujours de ma première intervention en direct comme journaliste à l’antenne de Radio-Canada. C’était en novembre 2013, j’étais en direct du terrain et je tremblais de stress en m’imaginant les pires scénarios catastrophes possibles, soit ceux où je n’arrive pas à comprendre ce que l’animateur me dira. Vivre avec une surdité, c’est aussi vivre avec un stress courant lors de conversations avec des inconnus,  à savoir si l’on créera un malaise parce qu’on aura mal compris notre interlocuteur.

Les appareils auditifs de Jérôme Bergeron sont bien visibles sur cette image

Et puis,  à la télévision, les téléspectateurs me voient pour la toute première fois.  J’affiche un regard troublé, regardant dans toutes les directions.  “Jérôme, vous m’entendez?”, lance l’animateur. De longues secondes de malaise s’ensuivent. “…Jérôme?” Le pire des scénarios que j’avais envisagés est en train de se réaliser. Je sais que c’est à mon tour de parler, mais je n’entends rien. 

Je prends tout le courage qui me reste pour me sortir de ce malaise et sans réfléchir, je lance : ‘Mathieu, je ne vous entends pas! Mais, j’ai préparé un reportage portant sur le dépistage de la surdité à la naissance. Vous savez, il y a beaucoup de disparités entre le Québec et l’Ontario. On écoute mon reportage”. Il n’y aurait pas pu avoir plus ironique comme situation : un journaliste qui n’entend rien du tout et… qui vient parler de surdité. 

Cet appareil, appelé « TV Connector », permet d’envoyer directement le signal de la régie aux appareils auditifs de Jérôme

Dès mon premier direct, j’ai compris que les obstacles seraient nombreux en tant que journaliste sourd. Dans les huit années de métier qui ont suivi, ils se sont tous présentés devant moi : difficulté à comprendre dans un palais de justice, devoir enlever mon appareil auditif pour insérer l’oreillette qui me permet d’entendre les réalisateurs en régie (là où l’équipe, en coulisses, met l’émission en ondes), ne finalement pas comprendre ce que les gens en régie me disent! Heureusement que des mesures d’accommodements, comme l’achat d’un appareil Bluetooth pour envoyer le signal de la régie directement dans mes appareils auditifs, m’ont permis de déjouer les balles courbes lancées par la vie! 

Ces obstacles quotidiens ont motivé ma décision de changer de direction et poursuivre mon travail en accessibilité chez Radio-Canada. C’est ainsi que j’ai eu l’immense bonheur d’accompagner la cheffe responsable de l’accessibilité chez CBC/Radio-Canada, Rachel Desjourdy, femme aussi malentendante, dans le développement de notre plan sur l’accessibilité intitulé Pour un avenir sans obstacles.    

S’engager pour l’accessibilité : CBC/Radio-Canada au cœur d’une vision inclusive

C’est une stratégie qui place l’humain au centre de sa vision novatrice et ambitieuse dont l’organisation s’est dotée. À titre de média public, nous voulons être un chef de file mondial en matière d’accessibilité, propulsé par la contribution des personnes en situation de handicap. 

Rendre CBC/Radio-Canada plus accessible, c’est de concentrer nos efforts dans trois domaines clés, visant à : 

  • offrir une expérience employé accessible et inclusive;
  • représenter la diversité des handicaps en ondes et dans les coulisses;
  • promouvoir l’accessibilité dans toutes nos activités. 

Notre plan est au cœur de notre engagement à reconnaître, à éliminer et à prévenir les obstacles, en concordance avec le mandat que nous avons de renseigner,

d’éclairer et de divertir l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes.

Nous nous engageons donc à accroître, au cours des prochaines années, le sous-titrage codé sur nos plateformes numériques, en particulier dans les diffusions web et les médias sociaux, à créer et offrir davantage de contenu audio transcrit et à enrichir notre programmation en langue des signes.

Nous amorçons bientôt la deuxième année de cette stratégie et nous avons déjà mis en place de nombreuses initiatives qui nous rendent fiers, comme le projet pilote des Nouvelles en LSQ, offrant des informations sur une base hebdomadaire en Langue des signes québécoise (LSQ) pendant quelques semaines. Nous avons embauché notre première journaliste-présentatrice sourde dans le cadre de ce projet, Danielle Danis.  À terme, ce projet pilote nous aidera à réfléchir sur la façon d’offrir des contenus d’informations en LSQ à un nouvel auditoire et à sensibiliser nos équipes à l’importance d’intégrer la langue des signes lors d’événements d’envergure majeure. 

PROJECTION GRATUITE DU DOCUMENTAIRE “LE MUR DU SILENCE” À OTTAWA LE 23 MARS

Les équipes des Services régionaux de Radio-Canada ont également organisé deux activités de projection publique du documentaire Le mur du silence, un film proposant d’écouter ce que des personnes sourdes ont à nous dire sur “leur” monde. La prochaine diffusion est prévue le 23 mars prochain à la bibliothèque publique d’Orléans à Ottawa, dès 14h. Un panel de discussion avec des protagonistes du film et une initiation à la Langue des signes suivront la diffusion.

Nous avons aussi bonifié notre offre de transcriptions dans la dernière année. ICI Radio-Canada Première offre la transcription de contenus de ses émissions Aujourd’hui l’histoire et Les faits d’abord ainsi que, pour audio, les balados L’insolence du quotidien et Rares : la loterie génétique.

Une année olympique et paralympique!

Nous avons des aspirations ambitieuses pour les prochains mois, soit d’offrir encore plus de contenus accessibles pour les personnes sourdes et malentendantes lors des prochains Jeux olympiques et paralympiques de Paris. 

Tout au long de ces journées de compétitions, nous publierons un résumé quotidien en LSQ des moments marquants de la journée. À cela s’ajoutent les quatre cérémonies d’ouverture et de fermeture qui seront interprétées en langue des signes québécoise avec sous-titrage codé. 

Qui a débranché le fil?

En terminant, vous savez quoi? Aucune mesure d’accommodement, ni technologie et intelligence artificielle ne m’aurait permis d’éviter le malaise vécu lors de mon premier direct. A posteriori, on a réalisé qu’on avait oublié de brancher le fil permettant de m’envoyer le signal sonore! Une première expérience sur le terrain qui m’a plongée dans les réalités et les joies du direct!

N’empêche, cette anecdote m’a suivie tout le long de ma carrière et je me reconnecte régulièrement à ce sentiment d’impuissance pour me rappeler comment peut se sentir une personne en situation de handicap qui doit faire face à des obstacles structurels. En retirant un obstacle à la fois, nous réussirons à faire de Radio-Canada un média public accessible…et sans obstacle! 

COMMENTAIRES ET QUESTIONS ?

Vous pouvez nous faire part des obstacles auxquels vous faites face lors de vos interactions avec CBC/Radio-Canada ou nous fournir de la rétroaction pour éclairer notre plan sur l’accessibilité en tout temps, au : cbc.radio-canada.ca/fr/retroaction-sur-accessibilite

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