Regénération des cellules ciliées : Thérapie cellulaire

Synthèse de Maripaule Peysson.
Article tiré de la revue 6 millions de malentendants par Le Bucodes SurdiFrance

L’annonce d’une découverte révolutionnaire qui permettrait la régénération des cellules ciliées émeut la toile et les réseaux sociaux. Un si bel espoir méritait quelques recherches à ce sujet. Cette annonce spectaculaire soudaine n’est pas le résultat d’un tour de magie mais bien de décennies (et oui) de recherches, de tâtonnements, d’échecs… et de progrès ! En voici une synthèse non exhaustive et très simplifiée.

La régénération : une capacité perdue ?

Quelle que soit son origine la perte auditive est souvent liée à des lésions irréversibles des cellules sensorielles auditives, les cellules ciliées.

Chez les vertébrés inférieurs (poissons, reptiles, batraciens) il y a un renouvellement permanent des cellules ciliées et celles-ci peuvent se régénérer après lésion. Cette capacité de régénération tout au long de la vie de l’animal a été perdue chez les mammifères. Chez l’homme, le nombre de cellules ciliées est fixé avant la naissance, et leur atteinte, dans la cochlée comme dans le vestibule, entraîne un déficit sensoriel irréversible.

Or dans l’oreille interne se trouvent des cellules dites progénitrices qui génèrent des cellules ciliées in utero, mais qui deviennent dormantes avant la naissance et ne se transforment plus jamais en cellules spécialisées telles que les cellules ciliées de la cochlée…

Dans le cadre de ces travaux en cours depuis plusieurs années, les scientifiques ont donc cherché à « réveiller » les cellules progénitrices résidant dans l’oreille interne pour les transformer en cellules ciliées.

De la souris à l’homme : produire des cellules ciliées

? Protocole expérimental in vitro
Une première étape a été la mise au point en 2010 d’un protocole expérimental, par l’équipe de chercheurs de l’Université de Harvard à Boston dirigée par Stefan Heller, permettant d’obtenir in vitro la différenciation de cellules souches embryonnaires de souris (cellules ES), en cellules sensorielles de l’oreille interne en combinant plusieurs facteurs de croissance.

? Deuxième étape : in vivo
Une fois obtenues ces cellules progénitrices à partir de cellules embryonnaires, il a fallu les greffer et vérifier qu’elles s’intègrent au bon endroit dans l’épithélium cochléaire et se différencient in vivo en cellules ciliées. Les cellules greffées ont été notamment retrouvées dans les couches cellulaires constituant l’ébauche embryonnaire de la cochlée. Ces cellules ont exprimé des gènes et des protéines caractéristiques des cellules ciliées matures normales de l’épithélium cochléaire. Les épithéliums sensoriels de l’oreille interne sont composés de deux types cellulaires : les cellules ciliées et les cellules de soutien, ces dernières pouvant également faire l’objet de régénération.

? Découverte des cellules progénitrices
L’équipe des professeurs Azel Zine et Alain Uziel de l’Institut des Neurosciences de Montpellier a démontré en 2007 l’existence de cellules souches ou cellules progénitrices dans l’oreille interne, ayant la capacité de se renouveler.
Des recherches complémentaires de la même équipe ont abouti à la découverte que des cellules souches adultes sont présentes dans l’épithélium utriculaire de la souris adulte.
À la suite de la perte des cellules ciliées, les cellules souches réactivent leur cycle cellulaire, se divisent et donnent naissance à des cellules progénitrices qui ont la capacité de se différencier en cellules ciliées sensorielles et en cellules de soutien.

? Fonctionnalité
S. Heller et al. ont continué d’améliorer les conditions expérimentales pour produire plus efficacement des cellules ciliées fonctionnelles, capables de transformer le stimulus sonore en signaux électriques. Ce phénomène s’appelle la mécanotransduction auditive. Ce sont les cellules ciliées internes qui sont les véritables cellules sensorielles de la cochlée, elles sont connectées à la quasi-totalité des neurones de type I dont les axones constituent 95 % du nerf auditif. Ce sont elles qui assurent la transduction. Les cellules ciliées externes jouant un rôle d’amplification essentiellement.
L’architecture des cellules ciliées est complexe et très difficile à reproduire. Il faut s’assurer que leurs connexions soient correctes. Chaque cellule ciliée présente 10 à 20 zones actives présynaptiques qui procèdent à la libération du neurotransmetteur (glutamate).

Mécanotransduction : Les stéréocils, 50 à 120 par cellule, en se déplaçant sous l’onde sonore doivent entrainer l’ouverture des canaux d’échanges calcium et potassium. Doivent s’ensuivre la dépolarisation de la cellule et la libération d’un neurotransmetteur, qui pourra alors stimuler les terminaisons nerveuses à l’origine de la transmission du message au cerveau.
C’est la première fois que des cellules ciliées ayant atteint un stade de différenciation si avancé sont produites à partir de cellules souches in vitro. Mais les mesures de la polarité fonctionnelle de la touffe ciliaire montrent néanmoins qu’aucune des touffes ciliaires n’a atteint le stade de différenciation d’une touffe ciliaire de la cochlée mature.

? Multiplication
En 2013, des chercheurs du Massachusetts Eye and Hear avaient également réussi, chez la souris, à forcer des cellules de l’oreille interne à se différencier en cellules ciliées. Malheureusement, les résultats sur la restauration de l’audition étaient limités par le faible nombre de cellules capables de se différencier.

Légende : Les cellules ciliées s’insèrent au milieu des cellules de soutien qui sont de plusieurs sortes. Celles-ci ont également des activités électriques et d’échanges. Les cellules progénitrices peuvent se transformer en cellule de soutien ou bien en cellule ciliée

Une nouvelle étude réalisée par ces mêmes chercheurs, ainsi que leurs collègues du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et du Brigham and Women’s Hospital, a montré qu’il est possible de faire préalablement se multiplier les cellules progénitrices, dites LGR5+, avant de les différencier en cellules ciliées, grâce à deux cocktails successifs de facteurs de croissance et de différenciation. Cette opération fait passer le nombre de cellules ciliées produites à partir d’une souris de 200 à 11 500.
Les chercheurs ont également procédé à un essai sur des cellules souches humaines obtenues de l’oreille interne d’un patient opéré pour une tumeur cérébrale. Ces cellules se sont aussi multipliées et différenciées, mais en quantité moindre en comparaison des cellules de souris.
Une autre application serait d’obtenir un large nombre de cellules afin de tester in vitro d’autres traitements visant à restaurer les cellules ciliées.
Les chercheurs du Massachusetts Eye and Hear ont décidé de continuer leurs travaux sur les cellules LGR5+. D’après leurs observations, les cellules progénitrices LGR5+ semblent se transformer naturellement en cellules ciliées dans la cochlée, en réponse aux signaux de l’environnement.

Essais clinique

Avec la création d’une société, Frequency Therapeutics, les recherches passent en phase de tests chez l’homme. Les molécules contenues dans le nouveau traitement stimulent les cellules progénitrices « dormantes » de l’oreille interne pour une différenciation en cellules ciliées.

Le médicament est notamment directement injecté dans l’oreille interne afin d’atteindre la cochlée. Les essais cliniques montrent des résultats significatifs dans l’amélioration de l’audition (tests de perception/compréhension de la parole).

Frequency Therapeutics affirme avoir déjà administré le traitement à plus de 200 personnes et constaté des améliorations significatives de l’audition des patients dans trois essais cliniques sur quatre. La thérapie est de longue durée – l’audition a été améliorée depuis près de deux ans dans certains cas. Par contre, une autre étude n’a pas montré d’amélioration de l’audition par rapport au groupe témoin. La start-up table compte effectuer de nouveaux essais sur 124 personnes. Les résultats préliminaires devraient être disponibles au début de l’année prochaine.

D’autres pistes

Il est vraisemblable — si cette thérapie aboutit — qu’elle ne pourra pas traiter toutes les surdités. D’où l’intérêt de travaux portant sur d’autres approches de thérapie génique pour tenter de convertir des cellules souches en cellules ciliées, mais aussi cibler des traitements visant à ralentir leur perte. Notons aussi des travaux de recherches pour régénérer les neurones auditifs via la thérapie cellulaire.

D’autres recherches prometteuses sont en cours pour régénérer les synapses lésées entre les cellules ciliées internes et les fibres du nerf auditif. La synaptopathie est une pathologie qui peut passer cliniquement inaperçue pendant des années. Pourtant, elle est suspectée d’être à l’origine de troubles de la compréhension de la parole dans le bruit et de surdités naissantes.

Sources : TRUY my science, Inserm, Observatoire de la santé, Médecine/Sciences, Aziz El-Amraoui* et Christine Petit Institut Pasteur, Unité de génétique et physiologie de l’audition, Inserm


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