Prothèses auditives : N’oublions pas la musique !

Intuitivement, la perte auditive est généralement associée à des difficultés à comprendre la parole. Maintes études ont examiné ces effets de la perte auditive sur l’intelligibilité de la parole. En comparaison, les études qui se penchent sur la perception de la musique en contexte perte auditive sont moins nombreuses. Pourtant, la musique fait partie intégrante de la vie de bien des personnes qui vivent avec une perte auditive. Pour ces individus, l’appréciation de la musique peut être nettement détériorée – la musique peut paraitre déformée, les instruments, les mélodies et les paroles peuvent devenir difficiles à reconnaitre.

Les prothèses auditives ont initialement été conçues pour améliorer l’intelligibilité de la parole. Des années de recherche et développement les ont rendues assez performantes à cet effet. Toutefois, la musique est totalement différente de la parole, et les mêmes paramètres de traitement de signal qui sont bénéfiques pour la parole peuvent nuire à la musique. Les méthodes prescriptives d’ajustement de prothèses (NAL-NL2, DSL, etc.) sont, elles aussi, spécifiquement optimisées pour l’intelligibilité de la parole.

Il faut dire que la musique comporte son lot de défis pour une prothèse auditive, notamment par sa grande hétérogénéité. Différents genres musicaux présentent des caractéristiques acoustiques totalement distinctes : l’énorme étendue dynamique de la musique classique et du jazz se contraste à l’étendue dynamique plus modeste de la musique pop, rock ou électronique, l’emphase sur les paroles du hip-hop contraste avec la dominance instrumentale du classique, la distorsion du métal contraste avec la complexité harmonique du jazz modal, etc. Ensuite, la musique peut être écoutée de plusieurs façon, chacune avec ses propres caractéristiques acoustiques : chaine stéréo, streaming dans les prothèses, spectacles en salle ou à l’extérieur, et – le pire pour personnes qui portent des prothèses auditives – en musique de fond au restaurant !

Les trois programmes

Face à cette hétérogénéité, Marshall Chasin, auteur du livre Music and hearing aids: A clinical approach (2022), propose trois programmes de prothèse auditive adaptés à différents contextes musicaux :

  • Un programme plus général pour la musique écoutée via une chaine stéréo ou en streaming. Cette musique a déjà été compressée durant le processus d’enregistrement, il est donc préférable que ce programme limite la compression faite par la prothèse pour conserver la qualité du son (p.ex. en utilisant une compression linéaire ou une légère Wide Dynamic Range Compression à action lente, ou en augmentant la sortie maximale).
  • Pour les spectacles ou pour jouer de la musique, le programme de parole dans le silence est un bon point de départ. Il suffit alors de désactiver certaines fonctionnalités qui peuvent interférer avec la musique (p. ex. abaissement fréquentiel, réduction du bruit, directivité adaptative, atténuateur de feedback).
  • Pour la musique instrumentale spécifiquement, un abaissement fréquentiel d’exactement une octave peut mener à d’excellents résultats. Ainsi les harmoniques dans la musique restent alignés – la musique sera légèrement différente, mais ne sera pas dissonante.

Ces suggestions nécessitent l’aide de l’audioprothésiste ou de l’audiologiste en centre de réadaptation pour ajuster la programmation en fonction des besoins de l’individu et des capacités des prothèses. Quelques trucs peuvent également être mis en place pour améliorer son expérience musicale par soi-même, comme utiliser une bonne chaine stéréo ou le streaming direct dans la prothèse. Cependant, le meilleur truc peut paraitre contrintuitif, il s’agit de réduire le volume de la musique et de laisser la prothèse s’occuper de l’amplification.

Réduire le volume

La musique trop forte risque d’être partiellement coupée par les microphones, lesquels ne sont pas conçus pour la grande étendue dynamique de la musique. Lorsqu’il n’est pas possible de diminuer le volume, à un spectacle par exemple, il est possible s’éloigner de la source sonore ou de porter un casque d’écoute avec suppression active du bruit au-dessus des prothèses. Certaines personnes vont même volontairement bloquer les microphones de leurs prothèses avec un morceau de Scotch Tape ou avec de la ouate, mais cela ne devrait pas être tenté avant d’en avoir discuté son audioprothésiste. Un dernier truc est très facile à mettre en place : essayer d’écouter la musique sans prothèses auditives ! Malgré tous les ajustements et les astuces, certaines personnes vont trouver que la musique sonne toujours mieux sans leurs prothèses.

La musique au-delà de l’audition

Plusieurs s’étonnent d’apprendre que les personnes avec des surdités profondes apprécient tout de même la musique. En fait, la majorité des individus de la culture Sourde participent à des activités musicales, comme danser, chanter ou jouer d’un instrument. Ce n’est pas surprenant si l’on considère que les autres sens, notamment la sensation tactile de la vibration, peuvent venir substituer ou augmenter l’audition. Il est reconnu au sein de la communauté Sourde que la sensation vibratoire permet une appréciation de la musique. Pourtant, peu d’outils sont disponibles pour mettre de profit cette sensation chez les personnes avec des pertes auditives, notamment celles qui portent des aides auditives. Notre équipe au laboratoire de recherche en perception multisensorielle et auditive (MAPLab) situé au centre de recherche CERVO (www.facebook.com/MAPLabCERVO) est présentement en train de développer des aides compensatoires multisensorielles. Celles-ci permettent d’envoyer les vibrations générées par la musique directement sur les doigts et la paume de la main. Cela reproduit la sensation de mettre sa main sur un hautparleur, mais maintenant chaque doigt pourrait sentir un hautparleur différent. Notre espoir est que, dans un futur proche, ce genre d’aide vibrotactile puisse être un outil de plus pour promouvoir l’appréciation de la musique chez toutes et tous, peu importe le statut auditif.

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